L’éloquence « made in US »

L’autre jour, lors d’un workshop, j’ai assisté avec amusement aux speechs respectifs d’un français et d’un américain. Leurs discours n’avaient rien d’inoubliables, mais ils illustraient à merveille le fossé qui séparent les US et la France en matière d’expression orale. Petit retour en arrière : il est 8h du matin, nous sommes un vendredi. La salle est clairsemée. Je parcours l’amphi du regard. Les sièges sont XXL. On pourrait s’y mettre à deux tellement les fauteuils sont larges. Sur les tablettes, les tasses à café isothermes sont plus nombreuses que les stylos. La clim souffle à plein régime. Je rigole intérieurement : « Aucun doute possible, nous sommes à Houston… »

L’intervenant américain entre en scène. Détendu, athlétique. Le regard franc, il démarre son discours par une anecdote personnelle. C’est frais, drôle, accrocheur. Sa machine est bien huilée. Il déroule son propos avec la décontraction d’un animateur TV. Une blague par-ci, un exemple personnel par-là, son speech est vivant et efficace. L’auditoire est sous le charme. Le contenu de l’exposé est un peu creux, la rigueur pas toujours au rendez-vous, mais l’emballage est tellement flamboyant, que personne n’y résiste. Même pas moi. Je me surprends à boire ses paroles, même si je ne suis pas tout à fait dupe. Il est fort le bougre !

Son discours achevé, un jeune français en cravate prend la relève. Il monte sur la scène avec le sourire figé d’un cliché de photomaton. Coup d’œil sur ses fiches à droite, coup d’œil sur son Powerpoint à gauche. C’est parti ! Il se lance dans une longue démonstration.  La logique est son unique fil conducteur. Son exposé est intéressant, son raisonnement clair, mais mon dieu qu’il est sérieux ! Pas la moindre blagounette, ni la moindre anecdote. Étriqué dans son petit costume moulant, il garde le cap sans sourciller. Sérieux comme un pape. Il tente bien à deux reprises de détendre l’atmosphère, mais ça tombe à plat. Je regarde ma montre nerveusement. Le dernier quart d’heure est interminable. J’ai mal pour lui. Le contraste avec l’intervenant précédent est énorme. C’est un peu comme si « Les petits chanteurs à la croix de bois » succédaient sur scène à une troupe de Broadway…  Le face à face est sans appel. US=1, France =0. Pas la peine de tourner autour du pot. En matière de prise de parole, les américains nous battent à plat de couture. Et ce récit, si caricatural soit-il, n’en n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Car ce qu’il y a de fascinant, c’est qu’ici, la plupart des gens semble en mesure de captiver l’auditoire, de briller au micro : Les vendeurs de télé, les plombiers, les directeurs d’école, monsieur tout le monde… Les américains ont ce petit quelque chose que beaucoup d’entre nous n’avons pas : un bagou incroyable. Une décontraction naturelle qui fait toute la différence. Lorsqu’ils font un speech, ils ne récitent pas un texte rédigé à l’avance, ils le vivent. Et ça n’est peut-être pas un hasard. Aux US, l’art oratoire est une matière à part entière, enseignée à l’école. Les petits américains apprennent dès le plus jeune âge à maîtriser les ingrédients d’un discours impeccable : le port de tête, le positionnement de la voix, le maniement des anecdotes… Ils apprennent à convaincre un auditoire, à captiver, à faire vivre leurs propos, comme si la forme devait toujours l’emporter sur le fond… Ils découvrent par imprégnation que « l’émotion rend plus réceptif ». Alors, ils mettent le paquet : ils usent et abusent du « storytelling », cet art de tout mettre en récit pour mieux séduire et capter l’attention. Souvent à la limite du « too much ».

Les américains excellent aussi au jeu des questions-réponses. Leur crédo ? Flatter leur interlocuteur. Ils ne peuvent pas s’en empêcher. Dès que vous leur posez une question devant un public, ils se sentent obligés de vous répondre « What a GREAT question ! I’m SOOOO glad you asked!” ou « Thank your SOOOO much for this EXCELLENT question”….  Ils sont les rois de l’emphase et du compliment faux-jeton. C’est franchement hilarant.  Surtout quand on sait que cela s’applique à toutes les questions, mêmes les plus anodines. D’ailleurs, ils sont souvent déstabilisés par nos questions brusques et directes à la française. Faites le test si vous en avez l’occasion. C’est vraiment intéressant. A ce petit jeu, j’ai constaté que les texans détestent tout ce qui ressemble à un affrontement ou à un désaccord. Ici, tout est policé. On fait attention à ne jamais lever la voix en public, à ne pas agresser verbalement son interlocuteur. Alors, on fait des tours et des détours pour dire qu’on n’est pas d’accord. On brosse l’adversaire dans le sens du poil pour faire passer la pilule. De quoi faciliter les échanges ? Je ne sais pas. Mais il est certain que les américains ont beaucoup de choses à nous apprendre en matière d’art oratoire et de diplomatie, notamment pour mettre en perspective nos propres façons de faire… Et c’est souvent très instructif. Rien de tel qu’un coup de boomerang culturel dans les dents pour voir notre « French Attitude » sous un autre angle… Décidément, j’adore l’expatriation et ses jeux de miroirs déformants !

4 réflexions sur “L’éloquence « made in US »

  1. Awsome! great story! Fascinant pour le dire en bon français …ne l’oublie pas non plus lors des speechs de ton workshop 🙂
    bises

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  2. Bravo pour ton post… Toujours interessant et amusant, même si le petit frenchie n’en sort pas grandi ! Comme toi, j’ai toujours pensé que la prise de parole en public et l’exposé oral devrait être une « matière à part entière ».

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