Big Bend National Park : Voyage en terres insolites

Pour être honnête le parc national de Big Bend ne me tentait pas vraiment. J’imaginais un parc naturel de seconde zone, un espace désertique aux paysages un peu fade, loin des splendeurs du Grand Canyon et de Yellowstone. Et puis on a pris la route pour aller voir à quoi ça ressemblait. Et là, grosse surprise… Big Bend est bien plus qu’un parc, c’est une expérience unique !

D’abord il y a la géographie du lieu. Big Bend est une vaste région située au sud-ouest du Texas, juste à la frontière du Mexique. Elle doit son nom à la courbe du Rio Grande qui délimite la frontière entre les deux pays. Alors forcément, à quelques semaines de la construction du mur de Donald Trump, ça pique la curiosité. Le président américain l’a martelé : il veut bâtir une muraille infranchissable entre les US et le Mexique, donc traversant le parc de Big Bend. Mais une fois arrivé sur place, on ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire. Dans le parc tout est accidenté, montagneux, reculé, hostile à toute activité humaine… Sans compter que les espaces naturels sont pour la plupart  inconstructibles et magnifiques. Comment concevoir un mur au milieu de ces montagnes ? Comment imaginer défigurer un lieu pareil ? A croire que Trump n’a jamais mis les pieds dans la région ! Il n’a pourtant cessé de le rappeler, « Personne ne construit aussi bien les murs que moi »…  Et bah, mon gars, bon courage. On va voir si « Bob the builder » est capable de passer de son imaginaire à la réalité. J’ai hâte de voir le résultat. D’ailleurs, il y a de quoi rire jaune, car s’il réussit à construire son mur, la nature va en prendre un sacré coup, sans parler du portefeuille de ceux qui paieront l’addition.

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Ensuite, Big Bend, c’est des paysages magnifiques et une richesse naturelle étonnante. Ca a beau être un immense désert, c’est super varié. Moi qui pensais mourir d’ennui face à un énième cactus, j’en ai pris plein les mirettes.  On y voit des montagnes (les « Chisos » 2700 m d’altitude), des plantes, des rochers de toutes les formes et de toutes les couleurs, des plaines, des canyons, des sources chaudes, un fleuve… et tout est facilement accessible (il y a plein de circuits à faire en voiture et de balades à pied pas trop longues). Je recommande d’ailleurs vivement la Ross Maxwell Scenic Drive qui offre des vues splendides, avec une jolie rando dans le canyon Santa Elena à la clé (environ 1 heure de balade facile). Ainsi que la route de Marfa à Terlingua qui passe par le Big Bend Ranch State Park. Je ne m’attendais pas à une telle richesse géologique. C’est d’ailleurs le hic. Il y a là-bas des milliers de cailloux différents. Et quand on a un fils comme le mien, ça veut dire qu’on en prend pour des heures d’observation. La procédure est immuable : On s’extasie devant un MAGNIFIQUE caillou. On recherche son nom dans la liste fournie par les rangers du parc. On compare les caractéristiques respectives du basalt, de l’agate ou de la calcite. On le remet à sa place puis on repart pour un tour… Au début c’est super, on se dit qu’on a vraiment de la chance de partager ces moments uniques au grand air avec son fiston. Et puis au bout de 4 jours, on craque. A chaque rando, on accélère lâchement le pas en espérant semer le géologue en herbe. On utilise toutes les stratégies de « refilage de bébé » possibles pour que son conjoint ou les grands parents s’y collent… Allant jusqu’à piquer l’appareil photo familial et faire semblant de canarder le paysage ! C’est pas glorieux, mais efficace (Oui je sais, je suis une mère indigne…).

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Big Bend, c’est aussi une faune abondante. Malgré les conditions climatiques extrêmes (il ne tombe que 10 à 15 centimètres d’eau par an), le parc compte 75 espèces de mammifères, 450 espèces d’oiseaux et 67 espèces d’amphibiens et reptiles. On n’en croise pas forcément tous les jours, surtout des ours ou des cougars, mais leur présence est palpable. D’ailleurs on en a beaucoup parlé pendant nos randos, notamment celle de « la mine perdue » que je conseille fortement (Lost Mine trail, 2h de balade tranquille, paysages magnifiques).  L’idée de croiser des prédateurs à poils nous a bien occupés… Enfin, surtout moi, la « trouillarde ascendant pétocharde ». Je peux vous assurer que j’avais le kit de survie à portée de main : les chaussures de randonnée qui remontent jusqu’aux oreilles, l’aspivenin, le sac 100% sans aliment dedans….Surtout après avoir vu la pancarte en bas du sentier : « Zones à ours et cougars – pique-nique interdit ».  Il ne m’en fallait pas plus pour glisser mon canif dans ma poche, puisque tout le monde sait qu’on peut terrasser un ours en lui plantant un couteau suisse entre les yeux. C’est bien connu… Résultat : pas le moindre ourson ni cougar sur le sentier. Faudra qu’on revienne. Finalement, la présence de prédateurs à grandes dents pimente les balades et c’est bien sympa.

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Et puis, il y a le sentiment  de « bout du monde » qui vous assaille une fois sur place. Parce que Big Bend est loin de tout, même des villes déjà paumées du fin fond du Texas ! L’isolement est une réalité. Le parc est désert dans tous les sens du terme : les infrastructures y sont quasi inexistantes, les habitants se comptent sur les doigts de la main, les portables ne passent pas, le wifi est aux abonnés absents… Et ça fait franchement du bien. La déconnexion est garantie. Il faut juste éviter de se casser la cheville ou d’avoir l’appendicite. Le premier hôpital digne de ce nom est à 2h de route. Par contre, c’est le lieu idéal pour tenter le coup de la panne…

Enfin,  Big Bend ne serait rien sans le charme « décalé» des villes alentour. Ces lieux totalement improbables que l’on traverse pour arriver jusqu’au parc national ou en repartir. Des villes perdues au milieu de nulle part, égrenées le long d’une interminable highway. Chacune a sa personnalité.

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D’abord il y a Marfa, la cité des artistes (2000 habitants), où les galeries d’art se camouflent sous  les traits de bâtiments industriels et où les restos « bobos » fleurissent au milieu des cactus. On y trouve de tout : des artistes en résidence, des texans du cru en chapeau, des fans de James Dean (l’hôtel Paisano y fut son QG pendant le tournage du film Giant), des touristes en goguette, des amateurs d’objets volants non identifiés venus observer les célèbres lumières fantômes de Marfa… Plutôt déroutant ! Comme le dit le slogan de la ville : « MARFA : c’est difficile d’accès, difficile à expliquer, mais quand vous y êtes, vous comprenez ». Il suffit d’ouvrir la porte de la Marfa Book Co pour mesurer pleinement la dimension insolite du lieu.  De l’extérieur, la librairie ne ressemble à rien. Mais une fois à l’intérieur, l’effet de surprise est garanti. C’est moderne, super design, on se croirait dans le quartier branché d’une grande ville. Des livres d’art à droite. Un coin café à l’ambiance tamisée à gauche. Et des clients bobos qui discutent à l’intérieur. Ca tranche avec l’ambiance western et désertique de la rue. Et c’est le même topo pour l’hôtel Paisano. Le bâtiment historique semble tombé du ciel avec son cadre retro chic, ses photos de James Dean  et son resto branché. Seul regret pour nous : être passés à Marfa le jour de fermeture de la célèbre Fondation Chinati, la galerie d’art contemporain fondé par Donald Judd, un artiste new yorkais pape du minimalisme. Il parait que le lieu vaut vraiment le déplacement.

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La ville de Terlingua n’est pas mal non plus. Le village fantôme affirme posséder « le plus grand tournoi de préparation de chili con carne du monde ». Tandis que le patelin voisin, Lajitas, s’enorgueillit d’avoir élu une chèvre pour maire. Les américains ont le chic pour trouver ces petits « plus » qui font la différence… Terlingua est encore plus isolée que Marfa (si c’est possible), plus petite et plus déserte. En arrivant sur place, on a même cru qu’on avait raté la « vraie » ville. Face à nous, un magasin de souvenirs, un vieux cinéma retapé et une brochette de cow-boys tendance hippies sirotant des bières… Pas très engageant. Jusqu’à ce qu’on franchisse les portes du cinéma devenu restaurant, le Starlight Theatre. Une institution dans la région. La salle est pleine, les serveuses courent dans tous les sens, un cowboy chante du blues. On attend près d’une heure avant d’être servis mais ça en vaut la peine. Les touristes côtoient des locaux et des hippies chevelus qui semblent tout droit sortis d’un film. Un gars en chapeau de cowboy blanc nous accoste au bar. Il est en manque de conversation. Marrant. Le spectacle est là sous nos yeux. Ça n’est peut-être pas le repas du siècle mais l’expérience est sympa. On rempile le lendemain à la Kiva, un resto niché dans la roche. Là aussi, l’ambiance est décalée, presque citadine. C’est au bout du monde et pourtant très branchouille…

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Et que dire de la ville de Sanderson ? Sur le papier, il n’y a rien à en dire. C’est moche, mal situé. On se croirait dans Bagdad café. Les bâtiments délabrés et sans charme se succèdent le long de l’autoroute entre deux carcasses de pickups et une station d’essence. Dans un coin de resto, trône une affiche « Sanderson, capitale texane des cactus ». Ah ouais, quand même ! Je me demande où peuvent bien être les cactus ! Et puis, on s’arrête pour dormir dans un motel pour couper la route interminable qui mène à San Antonio. Des animaux façon nains de jardins veillent sur l’entrée du motel. Les chambres sont vieillottes. Tout à coup, le patron de l’hôtel débarque avec son plateau garni de biscuits : « Un cadeau pour le jeune homme », dit-il à mon fiston. D’une gentillesse infinie, il nous demande si nous souhaitons gouter son thé indien sucré pour le petit déjeuner. Depuis qu’il a découvert que nous sommes français, il a des étoiles plein les yeux. Apparemment, son motel attire plus les routiers que les Frenchies, alors notre exotisme fait son effet ! Le lendemain matin, il revient avec son thé, un livre éducatif sur les indiens d’Amérique et son appareil photo. Clic, clac c’est dans la boîte, nous voici immortalisés en rang d’oignons, devant notre chambre. Notre logeur est tellement touchant qu’on n’a pas le cœur de lui dire non « La photo, c’est pour ma famille en Inde, je suis arrivé aux US il y a 15 ans mais je viens d’un tout petit village » se justifie-t-il dans un sourire. Plus improbable tu meurs ! D’ailleurs, Il faut avouer qu’en matière de relations humaines, le Texas a un atout que la France n’a pas : le sens de l’accueil et du service. Ici, les gens sont d’une gentillesse incroyable. Partout. En toute circonstance. Bien sûr, certains diront que c’est superficiel, mais il faut bien reconnaitre que ça fait un bien fou.  D’ailleurs mon fils ne s’y est pas trompé. A la question, qu’as-tu préféré pendant le voyage il a mis Sanderson dans son top 3. « Parce que le petit monsieur était super sympa et qu’il y avait le wifi dans les chambres ». Après tout, en matière de vacances, chacun voit midi à sa porte…

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Le détail de notre voyage :

Jour 1 : Houston -> Pedernales Falls State Park -> Fredericksburg (nuit au Best Western Plus Fredericksburg)

Jour 2 : Fredericksburg -> Enchanted Rock -> Marfa (nuit à l’hôtel Paisano).

Jour 3 : Marfa -> US67 -> Big Bend Ranch State Park (Fort Leaton State Historic Site et  Closed Canyon trail) ->Terlingua (nuit au Big Bend Resort and Adventures)

Jour 4 : Terlingua->Big Bend National Park (Ross Maxwell Scenic Drive, Santa Elena Canyon, Sam Nail Ranch, Tuft Canyon, Sotol Vista Overlook et Mule Ears View point) -> retour à Terlingua (nuit au Big Bend Resort and Adventures)

Jour 5 : Big Bend National Park (Lost Mine trail, Panther Junction Visitor center, Dugout Wells, Hot Springs et Rio Grande overlook) -> Nuit au Chisos Mountain Lodge

Jour 6 : Big Bend National Park (Window Trail, Grapevine Hills road, Balanced Rock trail et Fossil Bone Exibit) -> Sanderson (nuit à l’hôtel Budget Inn)

Jour 7 : Sanderson -> Seminole Canyon State Park ->San Antonio (missions Espada, San Juan et Conception -> nuit au Best Western Alamo Suites Downtown)

Jour 8 : San Antonio -> Houston

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